Le concept d’élément chez les Grecs et les chinois,
par Ghyslaine Le Moulec, enseignante au CATC.
De quoi l’univers est-il fait, se demandaient nos ancêtres.
"Tout est nombres" disait Pythagore. Deux siècles plus tard, Aristote affirmait que "les nombres sont identiques aux choses", et que les pythagoriciens pensaient que les nombres sont les composants ultimes de l'univers physique.
Pour son maitre, Platon, ce qui rendait compte de l'univers, ce n'était pas les nombres et l'arithmétique, mais la géométrie.
Sur le fronton de l'académie qu'il a fondé à Athènes il y a près de 2400 ans, il était écrit : "Que nul n'entre ici s'il n'est pas géomètre".
Platon avait décrit dans le Timée, l'harmonieuse géométrie symétrique de ces corps parfaits que le Anciens avaient nommé polyèdres réguliers.
Les polyèdres réguliers sont composés de faces régulières et identiques, formant des angles identiques. Il n'y avait pour Platon comme pour Euclide, parmi toutes les formes géométriques possibles, que cinq polyèdres réguliers. On les appelle les "solides platoniciens".
Ces polyèdres réguliers sont construits à partir de faces formées de 3, de 4 ou de 5 angles égaux, ils forment donc des triangles équilatéraux, des carrés et des pentagones.
Pour Platon, ces 5 polyèdres réguliers ne sont pas seulement des constructions géométriques abstraites, 4 d'entre eux, ceux qui sont formés de triangles ou de carrés, donnent leur forme aux 4 éléments qui composent l'univers : le Feu, la Terre l'Air et l'Eau.
Les 4 éléments, pense-t-il, ont chacun la structure géométrique parfaite de l'un de ces polyèdres réguliers :
- Le tétraèdre, la pyramide formée de 4 triangles équilatéraux est associé au Feu
- L'hexaèdre, le cube formé de 6 carrés est associé à la Terre
- L'octaèdre formé de 8 triangles équilatéraux est associé à l'Air et
- L'icosaèdre formé de 20 triangles équilatéraux est associé à l'Eau.
Notre monde est un reflet du monde parfait des idées et Platon suggère que la forme des triangles équilatéraux et des carrés qui composent les 4 éléments, pourraient leur permettre d'interagir ensemble, de se transformer les uns les autres, ce qui expliquerait à la fois la structure harmonieuse de l'univers et ses perpétuelles métamorphoses.
Quand au 5ème polyèdre régulier, le dodécaèdre, il est formé de 12 pentagones identiques qui lui donnent l'apparence d'une sphère.
Platon l'associait au Tout, c'est-à-dire à l'Univers.
Très loin de là, en Chine, il y a un peu plus de 2500 ans, durant la dynastie des Zhou de l'Est, un siècle avant Platon, les penseurs considéraient que l'Univers était constitué non pas de quatre éléments, mais de cinq.
C'est la période de Kong Fu Tzeu, plus connu sous le nom latinisé de Confucius, période où fleuriront durant près de 4 siècles, 100 écoles de pensée proposant philosophies, théories politiques, visions de ce que devrait être la société.
Nous y retrouvons notamment les textes de Confucius, le livre de Lao Tzeu, les livres des penseurs taoïstes Tchouang Tzeu et Liu A,n et le livre du disciple de Confucius, Meng Tzeu dont le nom latinisé est Mencius.
Le sinologue Angus Charles Graham, professeur de chinois classique à l'Université des études orientales de Londres, écrit à propos de l'étrangeté de ces textes et concernant la pensée chinoise : "La plus grande satisfaction est de s'efforcer de pénétrer à l'intérieur d'un schéma conceptuel tellement éloigné du nôtre. L'attention toujours focalisée sur des différences plutôt que sur des ressemblances, des différences parfois profondément ancrées dans la structure des langues chinoises et indo-européennes, et de découvrir à quel point, elles minent, elles sapent nos présupposés".
Mais revenons à ce que l'on appelle les Cinq Éléments chinois, les Wu Xing, que sont le Bois, le Feu, la Terre, le Métal et l'Eau.
Dans la cosmogonie chinoise, les cinq éléments, ne sont pas vraiment des éléments au sens occidental du terme.
Ils ne sont pas des constituants de la matière, ils sont des mouvements : les 5 mouvements ou les 5 processus ou les 5 étapes ou encore, les 5 cycles, les 5 relations dynamiques perpétuellement mouvantes entre les phénomènes qui constituent le monde.
Ils s'engendrent les uns les autres car le Bois nourrit le Feu, le Feu engendre la Terre, la Terre contient du Métal, le Métal recueille l'Eau, l'Eau nourrit le Bois qui lui-même, nourrit le Feu et ainsi de suite.
En plus de ces relations d'engendrement perpétuel, il y a dans ces mouvements, d'autres relations encore. Des relations de domination, de conquête ou de destruction. Car le Bois, les arbres maitrisent et stabilisent le sol, la Terre. La Terre absorbe l'Eau, l'Eau éteint le Feu, le Feu fait fondre le Métal et le Métal coupe le Bois, les arbres qui, lui-même maitrise le sol, la Terre, et ainsi de suite.
Ces 5 processus jouent un rôle majeur dans la cosmogonie, dans l'astronomie, dans la géomancie, dans la divination, dans l'orientation et la construction des bâtiments, dans la Médecine Traditionnelle Chinoise, dans la musique et dans les Arts martiaux.
Ils sont associés aux 5 planètes visibles à l'œil nu : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne.
Ils sont associés aux 5 directions : les 4 points cardinaux, l'Est, l'Ouest, le Nord, le Sud et une cinquième direction, le Centre.
Ils sont associés aux 5 saisons : le Printemps, l'Été, l'Automne, l'Hiver et une cinquième saison constituée par toutes les intersaisons qui séparent les 4 saisons.
Ils sont associés à 5 couleurs : Vert, Rouge, Jaune, Blanc, Noir.
Ils sont associés aux 5 constellations, aux 5 notes de musique de la gamme pentatonique, aux 5 saveurs, etc.
Mais "associé" n'est pas le bon terme, le terme chinois est "Kan Ling" de Kan, stimulus, incitation et de Ling, effet, réponse.
Les 5 mouvements sont à la fois chacun, action et réaction, stimulus et réponse, ils sont en résonnance.
L'Univers est en mouvement, il est vibrant, en résonnance.
Dans les textes sur la soie découverts dans les années 1970 dans une tombe datant de la dynastie Han, du 2ème siècle de notre ère, sur le site de Ma-Huang-P'u, dans le Yunnan, les cinq éléments sont aussi en résonnance avec les cinq vertus, les cinq comportements.
Et comme un fleuve coule de sa source, c'est du Dao que coule le De, les vertus.
Nous continuerons sur le Dao dans notre prochain article.
Bibliographie et références